C'est la première fois depuis des mois. La première fois que tu te sens sereine, comme si l'orage s'en était allé. Comme si plus rien ne pouvait assombrir le paysage. De prime abord. Seul un nuage pouvait tout faire basculer, provoquer une violente tempête qui te ferait perdre pied. Mais pour l'heure, tu tentes de l'ignorer ou plutôt, de l'envoyer dans un coin sombre de ta mémoire, afin de mieux profiter du beau temps. Tu es assez confiante concernant tes examens, parce que tu as travaillé dure. Parce que ton frère et ta sœur t'ont beaucoup aidé, aussi. Ça te fait toujours quelque chose, d'avoir la seconde à tes côtés. Elle qui te semblait jusque là intouchable, elle que tu admires tant. Depuis ton arrivée à Kobe, tu te sens importante. Plus importante. Comme si tu méritais sincèrement de l'attention, et pas seulement parce que tu broies du noir. Pas seulement parce que tu es une petite chose fragile qu'il faut protéger.

Rouvres les yeux. Tu te sens bien là. Un peu trop même. C'est confortable. Non, tu n'es pas perdue. Et s'il y a peu, tu te serais écartée rapidement en essayant de cacher ton visage entre tes mains, tu n'en fais rien aujourd'hui. Non, tu restes là, te redresses à peine, prends le temps de jeter un coup d'oeil dans le rétroviseur de la voiture pour t'apercevoir que Margaux est plongée dans ses pensées, casque sur les oreilles. Raphaël lui, reste concentré sur la route.

▬ T'es confortable. dis-tu doucement, un petit rire s'échappant de tes lèvres.

Là tu te redresses, libérant enfin l'épaule de l'espagnol. Pablo. Tu ne sais pas trop ce qui se passe depuis un moment. Tu te fais des idées, tu en es persuadée. Ou plutôt, tu essaies de t'en persuader.
Tu t'étires, constates que vous êtes quasi arrivés à destination ; Osaka. À l'occasion du Tenjin Matsuri, ta famille s'était arrangée avec l'école pour t'avoir après les examens, en attendant les résultats. C'est ton frère qui t'a proposé d'emmener un ou une ami(e) avec vous, et ta soeur qui s'est chargée du reste.
Tu n'avais pas vraiment l'embarras du choix. Et tu as choisi Pablo. Parce que ces derniers temps, il n'est pas dans son assiette. Tu l'as très vite remarqué, observatrice. Donc tu voulais lui changer les idées, passer du temps avec lui, être celle qui l'invite pour une fois. Parce que c'est toujours lui qui fait le premier pas. Alors pour cette fois, tu as pris ton courage à deux mains, après de longs jours d'hésitation. "Comment faire ? Vaut-t-il vraiment passer du temps avec moi ? Est-ce qu'il préfère être seul ?"  Tu ne n'étais sûre de rien. Mais tu es quand même parvenue à te lancer, à aller toquer à la porte de sa chambre pour lui proposer de vous accompagner. Non sans avoir tourné autour du pot, les joues légèrement rougies. Évidement, tu ne lui as pas fait part de tes motivations, ne souhaitant pas le mettre potentiellement mal à l'aise en imaginant que tu le fais par politesse. Ou qu'il est un poids pour toi, que tu as pitié ou autre.

Et il a accepté. Ça te soulage. Ça te fait plaisir, aussi.

Ton frère se gare. Ta sœur coupe sa musique. Tu ne perds pas de temps et sors rapidement du véhicule, pleine d'entrain. Vous avez déjà perdu assez de temps.

Impatiente, tu évoluais dans la foule d'un pas sûr, trainant à tes côtés le pauvre Pablo à qui tu imposais un rythme dont il n'avait certainement pas l'habitude avec toi. Être ici - maintenant les examens sont terminés - te fait le plus grand bien et tu ne manques pas de le faire remarquer à Pablo. Comme si tu te sentais obligée de te justifier. Comme si faire la conversation allait t'aider à ignorer ses regards. Parce que tu les as bien senti, ses yeux poser sur toi. Un peu comme hier, à la plage, bien qu'il se faisait... plus discret ? Quoi que. Tout dépend du moment. Tu tournes la tête vers ton ami, prête à lui demander ce qu'il se passe. Mais son compliment te prend totalement au dépourvu et aussitôt, tu sens le rouge te monter aux joues. Ce n'est pas nouveau pourtant, qu'il te complimente. Mais aujourd'hui...

▬ Merci. J'ai hésité avec des tons plus clairs mais c'était trop voyant à mon goût.

... Il y a quelque chose de différent.Tu détournes le regard pour observer ta manche, le temps de reprendre contenance.

▬ Et n'exagère pas.  Tu... tu es très bien comme tu es.

Bon, pour la contenance, on repassera. Il fait chaud non ? Inspire. Expire. Tu jettes un rapide coup d'oeil en direction du jeune homme. Tu l'as pourtant vu avec bien moins de vêtements hier,  et tu ne t'étais pas sentie gênée de la sorte. Du moins, jusqu'à ce que toi aussi, tu retires quelques vêtements.
Tu regardes partout autant de toi, à la recherche d'un stand intéressant, histoire de changer de sujet. Mais avant que tu ne puisses trouver ton bonheur, Pablo t'interpelle et t'emmène un peu à l'écart. Si tu ne le connaissais pas, et que tu n'avais pas confiance en lui, cette idée te mettrait profondément mal à l'aise. Et sans doute aurais-tu refusé. Pourtant, là, tu le suis sans rien dire, curieuse. Peut-être que la foule le met à l'aise ? Tu ne sais pas trop. Il a l'air... perturbé ?

▬ Pablo, qu'est-ce qui se passe ?

Ton palpitant s'agite dans ta poitrine et vu les mots qu'il prononce, ce n'est pas prêt de s'arranger. Tu le regardes droit dans les yeux, inquiète.

▬ Euh oui ? Une pause. ▬ On dirait que tu vas me dire quelque chose qui ne va pas me plaire. Ou me faire une déclaration...

Un rire nerveux et bref, rapidement suivit par un grand silence. Non... Ce n'est pas ça, pas vrai ? Tu as des doutes depuis quelque temps. Ses regards. Son comportement. Ce ne sont plus les mêmes que lors de ton arrivée  à Kobe. Mais... tu dois te faire des idées. Oui, tu en es persuadée. Ça doit être autre chose. Pour quoi est-ce qu'il s'intéresserait à toi, après toi ? Tu te sens stupide, détournes le regard.

▬ J-je voulais dire... euh...

Ton pouls s'accélère, à tel point que s'en est presque douloureux. Et rapidement, cette nervosité qui te ronge depuis quelques minutes se meurt, pour mieux renaître, transformée. Transformée en quelque chose de nouveau, quelque chose de violent. Parce que tu comprends. Tu sais où il veut en venir. Et pourtant... Avant même que tu puisses réellement traiter l'information, tu sens la main de Pablo réchauffer la tienne, alors que tes yeux ne quittent pas son visage, ronds de surprise. Tu ne réagis pas, ne bouges même pas le petit doigt. Plus encore, les mots ne viennent pas. Tu te contentes d'écouter, le corps sans vie mais le regard plein d'émotions. Oui, c'est bien là le problème. C'est que tu ressens bien trop de choses en même temps mais surtout, un mélange de peur et de joie. Parce que Pablo, il vient vraiment de te faire une déclaration. À toi, si inintéressante. Toi, sur qui il a encore des choses à apprendre, comme il le dit lui-même, et inversement. Il te trouve belle, aime ces moments passés en ta compagnie. Peut-être que tu l'avais remarqué mais... Tu pensais te faire des idées, que ce n'était qu'amical. Et là, il vient de souffler sur tes doutes qui s'envolent sans demander leurs restes.

▬ J-Je... commences-tu en français, sous le coup de l'émotion.

Un nouveau silence. Enfin, tu détournes le regard, comme si la réponse se trouvait partout autour de toi, surtout sur ton ami le plus précieux : le sol. La réponse, tu la connais déjà. Tu n'arrives juste pas à la prononcer, comme s'il existait une règle dans ce genre de situation. Comment faire ? Quelle attitude adopter ? Dans quel ordre prononcer ses mots ? Du courage. Tu dois le ramasser, sinon, ton silence pourrait rapidement être mal interprété. Oui, tu dois te lancer, peu importe si tu t'emmêles les pinceaux. L'avenir ? Peu importe. L'expérience ? Il faut vivre pour en avoir. Sa réputation ? Quelle valeur peut-on réellement lui donner ? Toi, tu te bases sur ce que vous avez vécu, vos conversations, la confiance que Nolan semble placer en lui au quotidien.
Ce bout de chemin...

▬ D'accord. finis-tu par dire avec assurance, refermant ta main autour de la sienne. ▬ Je veux faire ce bout de chemin avec toi.

Tu relèves la tête, plantes ton regard dans le sien.

▬ Je pensais me faire des idées ; j'avais du mal à croire que tu pouvais t'intéresser à moi. Une pause. ▬ Mais j'ai une condition : Je ne veux plus t'entendre dire que je mérite un type meilleur que toi. Il y a toujours meilleur, comme il y a pire. Le fait que je te plaise malgré mes défauts et la façon dont je me vois... À cet instant précis, c'est toi le meilleur d'entre tous. Ne doutes pas de toi..J'ai besoin que tu continues de me donner de ton assurance, Pablo Mora.

Ça y est, tu as osé. Osé faire ce que tu n'aurais jamais cru faire un jour ; répondre à la déclaration d'un garçon. Une déclaration sincère, sans la moindre malice. Pas de mauvaise blague. Pas de moqueries. Juste quelqu'un qui te veut dans sa vie, même si le temps vous sépare. Quelqu'un qui voit en toi une personne de valeur. Quelqu'un qui t'aimes, tout simplement. C'est à la fois effrayant et terriblement agréable comme sensation. La force te manque, ton palpitant s'agite et le sang te monte aux joues. Tu as tellement chaud tout à coup, alors que son visage n'est plus qu'à quelques centimètres du tiens, que ses doigts glissent le long de ton visage. Malgré la nervosité, tu ne parviens pas à le repousser. Tu n'en as pas l'envie, bien au contraire. C'est comme si tu venais de réaliser à quel point tu les voulais, ces lèvres. À quel point tu voulais connaitre cette sensation qui semble rendre dingue de nombreuses personnes.

Tu fermes doucement les yeux lorsque ses lèvres se posent sur les tiennes, chaudes et délicates. Comment faire ? Tu ne sais pas. Tu suis juste le mouvement, timide mais dans le besoin. Un simple geste qui balaie tous les doutes qui pourraient subsister.
Délicatement, tu viens poser ta main dans le cou de l'espagnol, remontes jusqu'à ses cheveux. Tu te retires légèrement, l'espace de deux secondes, t'empares de nouveau de ses lèvres. Juste un instant, avant de t'éloigner une fois de plus et te rappeler comment respirer.
Inspire. Expire. Ton regard plongé dans le sien.

▬ C'est retiré. Un petit rire, bref, suivit d'un sourire. ▬ Je... ok, je n'avais pas du tout imaginé ça pour la soirée. J-je... Je t'avoue que je n'ai jamais été en couple et je vais sûrement gaffer et... Je dois me taire, c'est ça ?

Tu voudrais disparaître.
Non, tu veux rester avec lui.
Non, disparaître.
Non ?

▬ Désolée !

Tu ne sais même pas pour quoi tu t'excuses.

Tu ne sais pas quoi dire, comment réagir, alors que tes joues s'empourprent et que ton cœur s'agite une fois de plus dans ta poitrine. Rapide. Intense. Tu te sens comme l'héroïne d'un dessin-animé ou d'un shōjo : Complètement dominée par ses émotions. Tu aurais pu répéter un texte devant ton miroir, réfléchir à toutes les réponses possibles et imaginables, tu n'aurais jamais été prête. Les garçons sont capables de dire de telles choses ? De les penser sérieusement ? C'est si... décalé de l'idée que tu avais. Ou plutôt, de l'idée que tu t'étais imposée, de peur d'être déçue. L'idée qu'on avait imposé dans ton esprit, lorsque tu voyais toutes jolies filles se pavaner aux côtés de leur petit-ami. Alors que toi...

Tu hoches la tête pour unique réponse, un sourire timide collé au visage, le regard fuyant. Tu es émue, Emma, surprise aussi. Peut-être... amoureuse. Vraiment.

▬ M-mais !

Ça recommence. Tu n'as même pas le temps de te calmer qu'il te fait faire un nouveau tour de manège.

▬ T-tu veux me tuer ? Enfin euh... Tu pourrais même faire n'importe quoi que je ne le remarquerais pas.

Tu serres sa main plus fort dans la tienne, fais un pas vers lui et viens cacher ton visage contre torse. Comme s'il n'avait pas compris ce qu'il se passait. Inspire. Expire. Tu peux entendre son cœur battre dans sa poitrine. C'est apaisant.

▬ Merci. Je... Je ferais de mon mieux pour... pour être à la hauteur.

Tu trouves le courage de relever la tête et de lui sourire.

▬ Et si on allait profiter du festival ?! proposes-tu en le tirant vers toi, le forçant à te suivre.

Enfin "forcer" est un bien grand mot. Ce n'est pas avec ta force de mouche que tu vas l'obliger à faire quoi que ce soit. Mais il ne te laissera certainement pas seule, encore moins au milieu d'une telle foule.

▬ Il y a quelque chose que tu veux faire ? J'aimerai bien manger une glace avant d'aller voir le défilé de bateaux. Si on y va assez tôt, on pourra sûrement trouver une place sympa.